Marchés publics et avocats : au risque du "dumping"
- Cyrille Emery
- 26 janv. 2016
- 3 min de lecture

Dalloz Actu a publié récemment un article sur la mise en concurrence des avocats pour l'attribution des marchés publics de services juridiques, sous la plume de Diane Poupeau. Cet excellent article revient sur les spécificités de la relation qui unit l'avocat à son client, et sur les biais qu'entraîne la mise en concurrence des prestations, notamment en termes de "dumping". En voici un extrait :
" Les marchés de services juridiques se distinguent, dans la pratique, des autres prestations de services par d’autres aspects. La mise en concurrence des avocats a conduit à une pratique de dumping tarifaire par certains cabinets. « A Paris, ces cinq dernières années, le taux horaire moyen des avocats auprès des collectivités territoriales est passé de 250 à 150 € », constate Jean-Marc Peyrical, avocat et président de l’Association pour l’achat dans les services publics. La pratique est également constatée par les acheteurs. Frédérique Vernet, chef du service juridique du musée du Louvre, reconnaît que « certains taux horaires sont assez bas, et peuvent se révéler intéressants ». Selon Samuel Dyens, président de l’Association nationale des juristes territoriaux (ANJT), « on est vraiment dans une course à l’armement où le critère du prix aboutit à des aberrations avec des tarifs horaires qui sont extrêmement bas ». Les acheteurs hésitent pourtant à actionner le mécanisme des offres anormalement basses prévu par le code des marchés publics et les décisions de justice favorables aux avocats sont rares (V., TA Cergy-Pontoise, 18 févr. 2011, n° 1100716, AJCT 2011. 356, obs. O. Didriche ).
Si cette pratique a, forcément, un impact positif sur les deniers publics, considération inhérente au métier d’acheteur public, ceux-ci restent réalistes. « Quand on voit que certains cabinets peuvent nous répondre à un taux horaire de 90 € hors taxes, on sait très bien que la qualité ne sera pas au rendez-vous », explique Olivier Didriche, directeur adjoint en charge des affaires juridiques de la ville et de la communauté d’agglomération de Reims.
S’ensuit alors une autre dérive : ces cabinets aux tarifs avantageux, une fois devenus attributaires, peuvent avoir tendance à gonfler le nombre d’heures facturées pour rattraper le dumping pratiqué au stade de l’offre. L’acheteur se fait alors négociateur et se voit contraint de mettre en place un dispositif de validation en amont des devis.
Faut-il pour autant revenir sur le principe de mise en concurrence des marchés de service juridique ? Rappelons à ce stade que la réglementation en vigueur ainsi que celle qui lui succèdera en avril prochain ne soumettent ces marchés qu’à une procédure adaptée, quel que soit leur montant. Pourtant, dans la pratique, les acheteurs mettent bien souvent en place des procédures très encadrées, qui ressemblent à s’y méprendre à des appels d’offres. Jacques Buès s’interroge : « Pourquoi passer par cette machine à broyer pour attribuer ? ». Pour Samuel Dyens, « c’est une réelle difficulté de ne pas pouvoir profiter de l’allégement que permettent les directives ». "
La course aux marchés publics dont croient profiter les administrations a aussi une contrepartie dont elles ne se rendent pas compte : les bons avocats, dont les honoraires sont conformes à leur talent et à leur notoriété, préfèrent désormais travailler contre elle, et non pas à ses côtés. À terme, une application trop rigoureuse de la sacro-sainte mise en eoncurrence se révélerait contre-productive pour l'État et les collectivités.
À méditer du côté de Bercy...
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