Open data et décision de justice « anonyme », un mariage impossible ?
- Cyrille Emery
- 31 janv. 2017
- 3 min de lecture

Éric Lanzarone, correspondant d'ESEA Avocats à Marseille, s'interroge sur la compatibilité de l'anonymat des décisions de justice avec l'Open Data dans "La Lettre du Cadre" :
La question du bien-fondé de la diffusion du nom des parties dans les décisions de justice n’a jamais été un sujet pris très au sérieux par les pouvoirs publics. Or, la diffusion en ligne de la jurisprudence sur différents sites internet, public (Légifrance) et privés (aux appétits parfois gourmands), conjuguée à la puissance des nouveaux moteurs de recherche, a notamment fait de l’anonymisation des décisions de justice une question fondamentale.
Certes, si l’élargissement de l’accès au droit accéléré par l’open data apparaît aujourd’hui fondamental, ce dernier ne doit absolument pas s’accompagner d’atteintes aux libertés individuelles, rendues possibles, soit :
- par l’identification des parties à la simple lecture du jugement ou de l’arrêt ou du contexte factuel et géographique de l’affaire, et ce, malgré l’usure du temps. Situation totalement paradoxale quand l’accès lui-même au casier judiciaire est restreint par les dispositions contenues dans le code de procédure pénale ;
- par la constitution éventuelle de fichiers numériques. Le récent débat sur la demande par les collectivités locales de casiers judiciaires des opérateurs économiques dans l’accès aux marchés publics témoigne de l’acuité de la thématique.
L’équilibre entre publicité des décisions de justice et droit à l’oubli
C’est notamment dans le cadre de ce débat et de cette recherche d’équilibre entre publicité de la justice rendue au nom du peuple français, accès aux décisions de justice à travers l’open data et droit à l’oubli, qu’est intervenue la loi au nom fort ambitieux sur la République numérique promulguée le 7 octobre dernier.
Dès 2001, la Cnil préconisait l’obligation d’anonymiser les décisions de justice publiées sur internet.
En vertu des articles 20 et 21 de la « loi Lemaire », les jugements rendus par les juridictions – civiles comme administratives – ont vocation à être « mis à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées. Cette mise à disposition du public étant précédée « d’une analyse du risque de ré-identification des personnes » et dont on rappellera qu’il correspond précisément à ce que l’article 2 alinéa 2 de la loi Informatique, fichiers et libertés définit comme étant une donnée à caractère personnel (« toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement… »). La Cnil s’en était inquiétée dès 2001 dans une recommandation dans laquelle elle préconisait l’obligation d’anonymiser les décisions de justice publiées sur internet.
Pas de décret d’application
La loi Lemaire précisait qu’un décret en Conseil d’État devait fixer « pour les jugements de premier ressort, d’appel ou de cassation, les conditions d’application du présent article ». Près de 4 mois après l’entrée en vigueur de la loi, aucun décret n’est intervenu.
Près de 4 mois après l’entrée en vigueur de la loi, aucun décret n’est intervenu.
Si le site du gouvernement nous informe que le processus de mise en œuvre de cette réforme « est lancé dans le cadre d’un groupe de travail réunissant les parties prenantes : services judiciaires, Légifrance, Cour de cassation, Conseil constitutionnel/Conseil d’État, Cnil », on ne peut qu’émettre des inquiétudes, nourries de ce que la réforme posera inévitablement des problèmes organisationnels dus aux sous-effectifs des juridictions. On ne peut que le déplorer et l’éventuelle suppression de milliers de postes de fonctionnaires est loin d’ajouter de l’optimisme.
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À noter qu'on peut s'interroger sur la manière d'anonymiser les décisions de l'Autorité de la concurrence, par exemple. Comment, en effet, anonymiser l'étude de marché relative au n° 1 du BTP en France, ou à l'opérateur historique des Télécoms, sans tomber dans le ridicule le plus absolu ?